Crème de mûres onctueuse. Une recette à 2 ingrédients, 100% cueillette sauvage

Cette lettre est le 5e épisode de mon 🔭 Carnet de Laboratoire, une newsletter mensuelle où je partage mes explorations.

Depuis quelques semaines, j’aime boire au petit-déjeuner un grand verre de jus de mûres sauvages cueillies par mes soins. C’est un peu comme si j’avalais un pot entier de confiture de mûre — sans le sucre raffiné !

Sans sucre, le jus de mûre se révèle avoir un goût plus subtil. Mais j’aime son violet foncé intense. Un concentré de sauvagerie dans mon verre. Seulement, pour une raison que j’ignore, j’ai envie d’une texture un peu plus épaisse. Quelque chose de plus crémeux, de plus onctueux, vous savez, un peu plus consistant.

Je suis donc parti à l’aventure pour mettre au point une recette de compote de mûre onctueuse pour mes fins d’étés — et les vôtres ?

Je me suis fixé 4 règles arbitraires pour cette expérience : (1) garder les ingrédients crus, (2) viser une recette simple à 2 ingrédients, un duo, (3) n’utiliser que des ingrédients végétaux glanés autour de moi, et (4) conserver le plus possible le goût subtil de la mûre.

Autrement dit, il me fallait trouver à proximité un épaississant sauvage au goût très discret. Un compagnon sympa qui resterait volontiers en arrière-plan, offrant sa présence rassurante et consistante, invitant gentiment la timide mûre à exprimer sa personnalité profonde et subtile avec plus d’assurance.

Je crois que j’ai trouvé une amie sauvage et élégante pour mes mûres !

Mais laissez-moi d’abord vous expliquer comment j’en suis arrivé là…

À la recherche d’un épaississant local et sauvage !

Les feuilles de pourpier sont-elles un bon épaississant ?

Le pourpier se développe joyeusement dans notre paysage, comme une couverture protectrice sur les zones où le sol perturbé, dénudé, s’en trouve frappé par le puissant soleil d’été.

Par curiosité, j’essaie d’intégrer des feuilles de pourpier dans mon jus de mûre.

Elles apportent une note verte légèrement astringente qui entre en compétition avec les mûres, sans pour autant épaissir.

Pas encore l’ingrédient magique que je recherche…

Photo de 3 feuilles de pourpier

Pourpier (Portulaca oleracea). N’épaissit pas.

Les feuilles de tilleul, mucilagineuses, devraient fonctionner !

Quelques tilleuls ont été plantés le long d’une route voisine. Les feuilles en forme de cœur oblique avec leur verso argenté et duveteux me laissent penser qu’il s’agit de tilleuls argentés.

Au printemps dernier, en cuisinant des feuilles de tilleul, j’ai remarqué leur texture mucilagineuse.

Si je les intègre à mon jus de mûre, elles l’épaississent effectivement. Mais leurs petits poils rendent le breuvage fibreux et irritant pour la gorge.

Photo d'une feuille de tilleul

Tilleul argenté ? (Tilia tomentosa). Trop fibreux.

Ce n’est pas exactement l’épaississant onctueux que je recherche ! En tout cas pas cette espèce argentée, et pas à la fin de l’été quand les feuilles sont devenues plus coriaces.

Rabattons-nous sur le potager : la courgette ?

Après avoir inspecté les haies et les prés autour de la maison, à la recherche d’un aliment sauvage approprié, je me résigne à chercher une solution dans mon potager.

Les courgettes ! Ma seule réussite de l’année au potager.

Elles sont parfois utilisées par les crusinières et crusiniers pour épaissir des préparations végétales. Essayons.

La courgette épaissit effectivement mon jus de mûre. Mais son goût, bien que léger, entre en compétition avec celui de la mûre.

Si elle se marie bien avec des aliments au goût prononcé, elle n’est pas l’épaississant discret que je recherche…

Photo d'une courgette avec une drôle de forme

Courgette (Cucurbita pepo). Goût trop prononcé.

Et les feuilles de patate douce ?

Alors que j’erre avec désespoir dans mon potager en pleine sécheresse, entre mes pommes de terre déshydratées et mes céleris branche lyophilisés, je constate qu’un légume a continué à pousser même sous cette chaleur tropicale : la patate douce.

Dans la cuisine taïwanaise, les feuilles de patate douce poêlées révèlent leur nature mucilagineuse. Essayons.

Cela semble fonctionner ! Lorsqu’elle est mélangée au jus de mûre, la feuille de patate douce reste silencieuse, laissant suffisamment de place aux aromes de la mûre.

Photo d'une feuille de patate douce en forme de coeur.

Patate douce (Ipomoea batatas). Trop visqueux.

Elle épaissit également le mélange. Mais plutôt dans la direction d’une texture visqueuse et filante… Vous savez, comme un yaourt maison qui n’a pas bien pris.

Dommage. On y était presque.

Rabattons-nous sur les haies ornementales : la mauve en arbre ?

En continuant à chercher une solution dans le jardin, en commençant à examiner les plantes ornementales dans les haies, je remarque une mauve en arbre.

En ces temps d’inflation galopante, si vous n’avez pas encore dévoré les pétales de mauve de votre haie ornementale, vous devriez le faire ! Ils sont un peu croquants, avec un léger arôme floral, une note de noisette, et surtout, une texture mucilagineuse intéressante.

Ajoutons-les à nos mûres.

Photo d'une fleur de mauve en arbre en train de se refermer.

Mauve en arbre, althéa, lavatère, etc. (Hibiscus syriacus). Parfait !

Je crois que nous y sommes ! La texture est épaissie sur un mode onctueux plutôt que visqueux. Les douces fibres des pétales sont indiscernables à la gorge. Et leur arôme subtil se fond parfaitement dans celui des mûres.

Seul bémol, la mauve en arbre n’est pas l’épaississant sauvage que je recherchais…

En quête d’une candidate sauvage dans la famille des Malvacées : les fleurs de mauve ?

Pourtant, il existe des cousines sauvages de la mauve en arbre, qui fleurissaient communément dans les prairies voisines il y a encore un mois : les mauves.

Après avoir vérifié à nouveau, je me rends compte qu’il reste toujours quelques petites plantes de mauve parsemées ici et là dans les prés, avec leurs petites fleurs rosées. Je crois reconnaître la grande mauve, et la petite mauve plus claire.

Essayons !

C’est bon ! Les résultats sont les mêmes qu’avec la mauve en arbre. Onctueux, pas fibreux, goût discret. Et, cette fois-ci, 100% des ingrédients sont issus de la cueillette !

Photo de fleurs de mauve

Grande mauve ? (Malva sylvestris) et petite mauve ? (Malva neglecta). Un petit peu plus que parfait !


Si vous êtes botaniste, vous avez aussi conclu, comme moi, que la famille des mauves — les Malvacées — est une très bonne candidate en tant qu’épaississante en cuisine sauvage !

Il y a la grande mauve, la petite mauve, la mauve en arbre. Mais le tilleul appartient justement aux Malvacées ! Ainsi que l’hibiscus, le gombo très mucilagineux, la guimauve (Althaea officinalis) dont on extrayait autrefois le mucilage pour fabriquer la confiserie appelée guimauve (marshmallow en anglais)… Il semble que le mucilage des Malvacées ait une structure proche de celle de la pectine.

Finalement, dans ma petite aventure à la recherche d’un épaississant sauvage, j’ai fini par réinventer la roue, ou plutôt, par réinventer l’épaississant !

C’est un peu triste d’avoir perdu tant de connaissances sur le fait que tout ce dont nous avons besoin pousse sous forme de ‘mauvaises herbes’ autour de nous. Mais c’est aussi une joie de voir que pendant tout ce temps, ces trésors nous ont gentiment attendus, sur le pas de notre porte. La prochaine fois que j’aurai besoin d’épaissir une confiture, une crème, un smoothie, un jus, une sauce, je me souviendrai de la famille des Malvacées !

Et juste une dernière photo pour vous montrer à quel point les boutons de mauve sont gracieux, juste avant l’éclosion :

Close up on a mallow flower before opening.

La recette (et ses variantes)

Photo d'une compote de mûres onctueuse, dont l'épaississant est constitué de fleurs de mauve sauvage.

Récolter les mûres et les fleurs de mauve

Pour environ 1 L de mûres, j’utilise 1/3 L de fleurs ou 1/4 L si elles sont légèrement compactées.

Cette proportion dépend de l’onctuosité que vous visez et de la quantité que vous avez pu récolter. Même quelques fleurs épaissiront le mélange dans une certaine mesure.

En général, je rince les mûres à l’eau filtrée plusieurs fois, pour éliminer la poussière et les particules qui ont eu tendance à s’y accrocher. Vous pouvez conserver uniquement les pétales de mauve, ou inclure également le calice qui contient aussi du mucilage mais qui n’est pas très fibreux.

Vous pouvez utiliser des fleurs de mauve en arbre à la place, ou pourquoi pas des fleurs d’hibiscus si vous en avez sous la main ? Je pense que les feuilles de patate douce pourraient aussi produire une texture onctueuse plutôt que visqueuse si on les utilise en plus petites proportions, mais je n’ai pas vérifié.

Extraire le jus de mûre

Je n’ai pas encore trouvé de méthode simple, agréable et efficace pour extraire le jus de mûre.

Le plus direct est d’utiliser un extracteur de jus, mais les pépins de mûre ont tendance à s’accumuler et à endommager mon extracteur.

J’ai découvert à cette occasion que les graines de mûres sont des sortes de petites météorites à la carapace coriace.

Gros plan sur une graine de mûre.

Une graine de mûre.

Ensuite, j’ai essayé d’utiliser un moulin à légumes. Cela fonctionne. Si les mûres ne sont pas trop sèches, il n’est pas nécessaire de les pré-broyer. Mais il faut travailler petit à petit, en enlevant régulièrement les graines accumulées. Et on met le plan de travail en pagaille.

J’ai aussi essayé de les liquéfier dans un premier temps à l’aide d’un blender ou d’un mortier et d’un pilon, et d’égoutter cette pâte en la pressant dans une étamine. Cela fonctionne aussi, mais là encore, il faut travailler petit à petit, et on met le plan de travail en pagaille.

Finalement, je suis toujours à la recherche d’une meilleure technique, mais je continue à récolter des mûres et à en extraire le jus d’une manière ou d’une autre, car je ne peux résister à l’appel du jus de mûre.

Un litre de mûres donne un peu moins d’un demi-litre de jus.

Mixer le jus de mûre et les fleurs de mauve

Je n’ai pas essayé d’autre moyen que le blender pour mixer les fleurs de mauve dans le jus de mûre, mais dans un mortier en pierre, cela pourrait peut-être fonctionner. Après avoir mixé, vous devriez déjà remarquer que le mélange est plus épais.

Faut-il ajouter quelque chose pour relever les saveurs ?

Pour relever un peu les saveurs, on pourrait ajouter un peu de miel, quelques gouttes de jus de citron, et même un grain de sel de Guérande. Mais je préfère généralement ne rien ajouter. Attention d’ailleurs, le miel ou le sucre peuvent avoir tendance à fluidifier le mélange par osmose. Au lieu d’ajouter quoi que ce soit, j’aime utiliser l’étape suivante pour relever les saveurs…

Refroidir le mélange

Je me suis rendu compte que le refroidissement est important. Cela permet au mélange de devenir plus crémeux. Voire même un peu gélifié. Mais, plus surprenant encore, le passage au frigo renforce la saveur des mûres. Habituellement, la saveur des aliments s’amplifie quand on les réchauffe, mais avec les mûres, j’ai découvert que l’inverse fonctionne bien.

Coiffer d’une fleur de mauve

Il me semble que coiffer votre crème de mûre d’une délicate fleur de mauve attira l’œil et équilibrera agréablement le violet profond et intimidant de la mûre !

Que faire des résidus ?

Après avoir extrait le jus des mûres, on se retrouve avec des tonnes de graines de mûres. Comme nos poules sautent sur les résidus de jus de concombre et accueillent avec gratitude les résidus de jus de céleri, j’ai pensé leur offrir les résidus de mûres. Mais elles les ont complètement snobées.

Photo du résidu de graines de mûres après extraction du jus de mûres.

Je n’ai pas mis les graines dans le compost, de peur de répandre des buissons de mûres épineux dans le jardin. Finalement, je les saupoudre dans les haies le long de la route, précisément là où les mûres ne poussent pas encore. Ainsi, j’ensemence nos p’tit déjs onctueux pour les années qui viennent…

Bon appétit ;)

Lénaïc


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Lénaïc Pardon
Lénaïc Pardon

Je suis une sorte de chercheur-explorateur. Je suis français, introverti et hypersensible. Je donne beaucoup de valeur à la liberté, la créativité et l’altruisme. Je suis curieux sur à peu près tout, mais j’ai une préférence pour les sujets autour de la sobriété volontaire : permaculture, nature, artisanat, autonomie, philosophie, les mystères de la vie… Plus de détails sur mon travail et ma trajectoire >